Mieux être · Mieux vivre · Mieux travailler
Soyez spontané ! Soyez heureux ! Coachez gratuitement ! L’injonction paradoxale rend fou, Bateson nous avait prévenu.
Et nous sommes devenus fous. Le « Coaching solidaire » en nous invitant à coacher gratuitement nous a rendu fous. Entendons-nous bien : le don, en ce qu’il nous invite à «abandonner gratuitement à quelqu’un la propriété ou la jouissance de quelque chose» (Cf. le Petit Robert), est un geste louable. Cependant, le don n’est pas un geste anodin. Il crée une relation entre celui qui donne et celui qui reçoit, et cette relation est complexe. Le geste semble gratuit, mais la relation ne l’est pas. Avons-nous les moyens de donner du coaching ?
Du don de valeur à la valeur du don
Parler du don, c’est parler de la relation qui se crée entre le donneur et le receveur, au travers de la transmission de quelque chose qui a de la valeur. La différence entre un don et une vente réside dans l’échange monétaire. Dans le cas d’une vente, c’est le client (celui qui reçoit la chose transmise) qui paie. Il remet, en échange de la chose donnée, une contrepartie monétaire, qui sert à équilibrer l’échange. Dans le cas du don, c’est le fournisseur (celui qui remet la chose transmise) qui paie, puisqu’il prend en charge les coûts relatifs à l’achat, à la fabrication, à la transmission de la chose donnée. En ce sens, le don met le receveur en dette, puisqu’il n’y a pas d’échange, il y a transfert sans réciprocité. Plus la valeur de la chose transférée est élevée, plus le déséquilibre de la relation est marqué, et le sentiment de dette pour celui qui reçoit est fort.
De la valeur du don au prix de la dévalorisation
Le cadre du « coaching solidaire » a cela de spécifique qu’il entretient l’idée que la prestation de coaching peut être gratuite. C’est-à-dire que le coach, fournisseur de la prestation de « coaching solidaire » accepte de fournir la prestation « coaching solidaire » sans contrepartie monétaire. Les coûts relatifs à la prestation de coaching sont totalement à la charge du coach, du fait du don, et du cadre de ce don. Autrement dit, c’est le «coach solidaire» qui paie la valeur de la prestation de coaching. Travailler gratuitement est un choix pour le coach. Travailler gratuitement a un coût pour le coach.
Et travailler gratuitement a une signification pour le client. Travailler gratuitement, c’est informer le client sur la capacité financière du coach à financer le coaching à sa place. Le coach donne ainsi une information sur la valeur de la chose donnée, valeur qui ne semble pas être bien élevée. En effet, pour quelle raison quelqu’un accepterait un don d’une grande valeur, qui l’aliénerait par une dette non remboursable ? Et pour quelle raison cette personne qui se fait appeler « coach » donnerait quelque chose de valeur à quelqu’un qu’elle ne connait pas (encore), qu’elle ne verra (surement) plus après. Sauf à penser que donner ne lui coûte rien. Ou presque.
Du coût du don au travail du talent
Or, la prestation de coaching a de la valeur. Parce qu’elle est le résultat d’un travail. Celui du coach qui veut mettre son talent au service du développement professionnel des individus qui en font la demande. Avoir une disposition innée (un talent) est une chance. Et cette disposition parce qu’elle est naturelle et innée, ne coute rien, ou presque, à celui qui la détient. C’est sans doute pour cela que l’on voudrait la partager avec ceux qui en ont moins. A ceci près qu’un don (un talent) ne se donne pas, ne se transmet pas. Il se travaille. C’est le travail qui fait de ce don (ce talent) une richesse. «Au fond, le don, ça n’est presque rien – tout en étant indispensable !… C’est le travail qui importe. Sans travail, le talent n’est qu’un feu d’artifice ; ça éblouit un instant, mais il n’en reste rien » [1] .
Picasso n’est rien sans son travail acharné. C’est l’expression de son art qui en fait la richesse. C’est le travail que fournit le coach qui donne toute sa valeur à la prestation du coach. Et du travail, il y en a pour qui veut fournir une prestation de qualité : travail avant, travail pendant, et travail après la prestation. Travail sur soi, de supervision, de professionnalisation, de formation, d’échanges entre pairs, de prospection, de communication, de production, de réflexion, d’introspection, de recherche d’information, de veille, d’expériences, d’écoute, de confrontation … Tout cela demande du temps, beaucoup de temps, des efforts, bien des efforts, et de l’argent aussi. Et ce travail a un prix. C’est le prix que paie normalement le client lorsqu’il est coaché. C’est le prix que paie le coach lorsqu’il coache gratuitement.
Du coach solitaire à la solidarité des coachs
Est-ce que vous avez les moyens de donner du coaching ? La réponse vous appartient individuellement, bien sûr, c’est votre choix. La réponse collective doit être négative. Pousser aujourd’hui les coachs individuellement à exercer leur métier gratuitement est suicidaire collectivement.
C’est là que le « coaching solidaire » doit jouer un rôle actif et positif : celui qui consiste à faire vivre la solidarité au sein de la corporation des coachs. La solidarité, c’est fédérer des individus autour d’un projet collectif d’engagement pour défendre une cause, celle de pouvoir faire vivre une expérience de coaching à ceux qui le veulent mais n’en ont pas les moyens financiers. Le sens de l’existence du « coaching solidaire » en tant que projet collectif, c’est d’utiliser la force de l’association pour lever des fonds qui permettront de payer des coachs à la place de ceux qui voudraient bénéficier d’un coaching mais qui n’en ont pas les moyens financiers. Seul, nous ne pouvons que coacher gratuitement. Ensemble, nous pouvons agir de façon solidaire et faire reconnaitre le coaching, sa valeur, son prix et ses bénéfices. Et donner du sens au don.
Aujourd’hui, je donne cet article à la newsletter COS, et donc à ses lecteurs, à la communauté des coachs, et à tous les curieux qui voudront bien me lire, parce que j’ai reçu de cette communauté, de mes pairs, superviseur, supervisés, coachés, qui se reconnaitrons. Grâce à eux, j’ai travaillé mon talent d’écoute, de synthèse, de réflexion, et d’écriture, et je livre ici notre travail commun. Ils m’ont donné à réfléchir. C’est ma manière de rendre ce que vous m’avez donné, avec l’espoir que je vous enrichirai autant que vous m’avez enrichi. Merci
Publié dans la NewsLetter du COS© de décembre 2014